Depuis la nuit des temps, l’être humain en Occident ou en Orient a fondé sa vie sur l’idée de péché, ou de culpabilité, de Chute, de fin apocalyptique ou bien de cycle perpétuel de vies et de recommencements jusqu’à effacer les fardeaux, ainsi que sur l’expulsion de Jardin d’Eden.

Or, ces images qu’on le veuille ou non nous poursuivent malgré nous. Le transhumanisme n’est qu’une vision déformée de la quête de la vie (ou de l’existence) éternelle que promettent les religions. La conquête de l’espace n’est à la fois rien d’autre qu’un nouveau colonialisme et rien d’autre qu’un nouveau transhumanisme.
Mais à plus grande échelle, si nous prenons de la perspective, notre Galaxie n’est qu’un point à travers des milliards de milliards de galaxies. De ce point de vue, entamer un voyage vers une autre planète de notre propre système n’a rien d’impressionnant pour l’être humain que nous sommes. Ce serait comme si une graine venue d’Asie se retrouvait à croître au centre de l’Europe ou comme si une fourmi faisait le tour du monde (ce qui a dû arriver à un moment ou à un autre dans les deux cas).
Le problème serait donc surtout la durabilité de ce type de voyage et de pratique. Un seul voyage n’aura pas beaucoup de conséquence sur ce que notre vie sera à l’avenir. Mais des centaines voire des milliers de voyages interplanétaires nous amènent à créer des risques paradoxaux pour notre société :
– d’abord le risque de polluer plus qu’il ne le faut pour transporter peu de gens et peu de choses dans des véhicules énergivores alors même que les politiques vendent les voyages spatiaux comme des solutions pour sortir d’une Terre inhabitable et polluée.
– ensuite le risque de perturber les processus naturels déjà en cours sur les milieux naturels (parce qu’on l’oublie souvent mais ce sont des milieux naturels et pas que des dunes de sable ou du gaz) de Mars, de la Lune ou d’autres planètes et étoiles tout cela afin de produire de l’énergie dont l’homme ‘a besoin’ mais dont la planète n’a pas besoin.
– enfin à grande échelle, nous risquons de découvrir des traces anciennes de vies dont nous ne pouvons pas ignorer qu’elles représentent potentiellement un danger mortel pour la vie humaine. On ne peut ignorer que la plupart des populations sur Terre ont disparu à cause de chocs microbiens. Ce serait d’ailleurs ce qui se rapprocherait le plus d’une fin de l’Homme par une ‘attaque’ extraterrestre.
Mais s’exiler est le propre de l’Homme. Éternel migrant et réfugié, capable de s’adapter à tous les territoires, l’être humain figure parmi les espèces les plus mobiles au monde bien qu’on nous serine que nous sommes devenus trop sédentaires. À bien des égards, il semble naturel que l’être humain se répande sur d’autres planètes. Néanmoins, par ce permanent exil, l’être humain aborde ses limites : elles sont terrestres d’une part, car si plus de 25% de la Terre est habitable, il faut retirer bien 15% de cette surface habitable qui n’est pas habitée par les fortes contraintes climatiques ou les reliefs difficiles (déserts, sommets de montagnes, forêts épaisses, terres infertiles, terrains à risque de crues et d’inondation, etc.). Or, la quasi totalité de la population mondiale vit sur seulement 1% du potentiel habitable de la planète (d’où l’urbanisme grimpant). Malgré cela, si l’Homme n’est par exemple pas un habitant des forêts comme celle de l’Amazonie, il les détruit par ses pratiques agricoles, industrielles et colonisatrices.

En dépit de cela, certains peuples premiers d’Amazonie ont dû se retrancher dans les forêts pour vivre et survivre et ne pas être sans cesse attaqués. Vivre en milieu hostile semble donc lié aussi à un exil forcé. On peut alors imaginer sans peine que l’être humain s’exile de lui-même sur une planète inhabitable pour survivre et y trouvera toutes les solutions possibles comme aujourd’hui ces peuples qui connaissent mieux la forêt, ses dangers et ses potentialités que quiconque.
Dans ce cas-là, il est justifiable de se dire qu’une autre planète pourrait présenter au moins 1% d’intérêt pour son habitabilité.
Ce qui est moins justifiable c’est : qui sont les personnes qui vivront sur ce 1% rendu habitable sur la Lune ou sur Mars ? Sûrement pas les plus fortunés ou privilégiés, car l’hostilité du milieu et les contraintes climatiques rendraient le lieu inhospitalier pour une large catégorie sociale d’individus vivant confortablement (je me mets plutôt dans cette catégorie par ailleurs). Alors qui? Plus vraisemblablement les ouvriers, techniciens, scientifiques et travailleurs envoyés dans les astres pour en tirer partie pour les autres.
Il y aura donc deux problématiques déjà : une problématique environnementale et une problématique socio-économique. Les deux créeront une situation profondément injuste et non éthique pour la majorité d’entre nous.
Par définition aussi, notre passage sur Terre et partout ailleurs est transitoire. Nous ne sommes pas programmés à la base pour durer mais les conséquences de nos actes durent plus longtemps. L’idée d’une tabula rasa (faire table rase) sur une autre planète comme au temps de la découverte des continents au Moyen Âge persiste mais est devenue risible.
Doit-on donc être pour ou contre la conquête de l’espace ?
Dans une approche manichéenne nous devrions répondre : non, car c’est mal. Dans une approche plus rationnelle, l’être humain par sa génétique propre, par ses héritages culturels et les symboles qu’il porte en lui et transmet ne fait que poursuivre des processus qui lui sont ‘naturels’ et qui répondent à des besoins de survie primitifs et animaux.
La seule chose qui pourrait freiner cette envie de perpétuer l’espèce et de capitaliser sur les ressources d’autres milieux serait notre capacité à réfléchir à notre espèce et à notre avenir. Puisqu’a priori nous n’essayons pas de vivre sur les surfaces inhabitables de notre planète bleue, il serait hyper paradoxal de vivre dans l’espace.
L’argument des scientifiques est d’ailleurs de dire que faire des recherches sur la vie dans l’espace nous permet de réfléchir à l’habitabilité de notre propre Terre. Il est bien vrai que commencer à faire pousser des plantes et notamment des salades ou à fabriquer l’eau dans des environnements pauvres en oxygène et où il fait soit trop chaud soit trop froid, est une démarche qui pourrait bien sauver les gens après 2100 sur Terre. Dans ce cas-là il n’est plus question d’essayer de vivre sur d’autres planètes ni de les conquérir, il sera surtout question de mieux comprendre si nous humains et non humains pourrons continuer à vivre dans des conditions que nous considérons aujourd’hui comme invivables sur Terre.
Alors finalement : ni pour ni contre ?
Signé Tassa
