J’ai lu Le Pari de la décroissance de Serge Latouche

Penser et consommer autrement pour une révolution culturelle

C’est le sous-titre de cet essai de Serge Latouche, universitaire habitué aux ouvrages sur l’application de la décroissance à nos sociétés, qui nous livre le plus d’indices sur ce que dit l’ouvrage. Quelles sont les conclusions que l’on doit tirer d’une telle analyse ? Voici les ressentis de ma lecture de la version poche du Pari de la décroissance.

Si vous cherchez un livre qui aborde la décroissance d’un point de vue pratique (comment l’appliquer au quotidien), passez votre chemin. Il s’agit ici d’un essai de philosophie, de sociologie et d’économie qui fait la part belle aux théories déjà connues sur le sujet. Car oui, le thème est déjà bien connu depuis la fin des années 70-80, l’ultime rebond des Trente Glorieuses en avait déjà fait réfléchir plus d’un. Le pétrole allait il être en quantité suffisante pour nos sociétés à l’avenir ? Qu’allait-il advenir de nos déchets dans un océan de plastique ? Déjà dans les années 90, la plupart des théories de la décroissance avaient posé les premiers jalons de ce qu’aujourd’hui les politiques aux abois considèrent comme une idéologie ou une utopie dignes des pires monstres sanguinaires : les « khmers verts »… cette rhétorique et ce discours anti écologiste, il les analyse pour nous et c’est ce qui fait de son livre, un essai réussi.

En quelques trois cents pages, l’essayiste Serge Latouche reprend une à une ces théories de la décroissance, qui prennent des noms différents sous la plume et l’étude de chacun. Il déroule les faits, les chiffres et cite ses sources, si bien qu’on a l’impression qu’en fin de compte, il est vrai que rien n’a avancé depuis les débuts de ces courants de pensée déterminants pour l’avenir des enfants de cette planète. Dans le pari de la décroissance : parier, c’est aussi perdre. Que perdrons nous à décroître ? Le livre en parle peu (et c’est fait exprès bien entendu).

Quelques défauts subsistent à son ouvrage. Mais il s’agit ici d’une nouvelle édition (2022). Depuis une quinzaine d’années les choses ont tout de même bougé. Et nous avons été frappés de plusieurs crises : sanitaire (SARS COv 2), sociale (réforme des retraites) et climatiques (sècheresse et canicule). Serge Latouche admet que l’effet Greta Thunberg a définitivement fait bouger les lignes chez la jeunesse soumise aux idées d’un passé consumériste, dont ils sont victimes (pollution, maladies, cancers, pauvreté, dépression, changement climatique).

Malgré tout, on voit peu de femmes citées dans les sources ou les études. Elles sont pourtant précurseures et précieuses dans le champ de la redécouverte de l’a-croissance. Le passage d’un état de croissance à celui de décroissance aurait en effet bien plus de conséquences positives sur les femmes, mais l’ouvrage de S. Latouche, alors même qu’il recommande de ne pas être universaliste, l’est indubitablement, confondant hommes et femmes dans un vaste flou réducteur. La seule distinction qu’il émet reste dans le traitement des Nords et des Suds, bien que sa conclusion soit sans appel : tout le monde doit faire un effort, souhaitant ne pas avoir recours à un retour au colonialisme ou en tout cas à la pensée dominatrice des Nords.

Sa solution, pour que justement la décroissance ne paraisse ni une punition ni un effort, serait de décoloniser l’imaginaire consumériste, capitaliste et publicitaire que nous avons emmagasiné depuis les années 70-80. Il explique qu’un retour à une consommation des années 60-70 pourrait résoudre le problème énergétique plus rapidement bien que le problème climatique subsisterait (éliminer la pub ferait partie des solutions). Nous nous retrouvons donc avec un essai sans subtilités sur les classes sociales les plus marginalisées (par exemple les personnes malades, handicapés, les femmes cumulant plusieurs caractéristiques discriminantes, les personnes dites racisées dans les Nords, etc.). Sans cette nuance, le livre égrène des théories économiques et philosophiques intéressantes mais un peu vaines, toujours aussi inapplicables dans un monde paradoxalement fracturé. Car, même en se disant disciple des textes sur les luttes des classes, ce que Serge Latouche ne dit pas, c’est que pour arriver à la décroissance, ce sont toujours les plus pauvres qui pâtiront pendant encore très longtemps des conséquences du capitalisme galopant et de la décapitalisation attendue.

En citant énormément de sources, l’on est rassuré par les faits annoncés dans le texte, mais on n’est pas du tout rassérénés parce que finalement, aucune politique d’ensemble n’est émise par aucun pays dans le monde. C’est avec cette double négation que je termine cette chronique. En soulignant le manque de diversité dans les regards qu’apporte Serge Latouche, même s’il cite Vandana Shiva et plusieurs théoriciens indiens, il manque une forme de gradation lorsqu’il évoque tour à tour la situation de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique.

Pour ce qui est de l’Europe et des États-Unis (sans oublier l’Australie plus gros pollueur après les USA), l’auteur est très pessimiste mais donne tout de même les 8 à 10 ingrédients magiques qui éviteront le désastre (les désastres). Quelques une des théories dont il parle sont assez terrifiantes et me paraissent diminuer son propos alors même que ce propos est censé frapper fort pour choquer les lecteurs-lectrices : le chapitre sur la démographie m’a laissée circonspecte. S’il parle de Malthus puis insiste sur le fait qu’il ne veut pas des pensées malthusiennes comme clé au soulagement de l’humanité, on a plutôt l’impression que pour les partisans de la décroissance, le malthusianisme n’est pas si grave. Pour autant, je ne veux pas l’accuser de rien. En effet, il explique bien qu’il faut se garder de pencher vers le darwinisme (la sélection naturelle) ou l’eugénisme. Bref.

Si nous consommons aujourd’hui plus de trois planètes en terres agricoles, on n’a l’impression en lisant le livre qu’aucune solution ne pourra sortir l’humain de sa folie consumériste, appâté qu’il est par l’argent facile. Les chiffres qu’il donne sont sidérants et aberrants, voire proprement absurdes, de la salade qui parcourt 5000km aux pommes de terre qui en font presqu’autant pour être transformées en chips puis réimportées là où elles ont été récoltées… des décisions des entreprises multinationales radicalement opposées à ce qu’il aurait fallu faire, aux décisions politiques qualifiées d’inutiles ou bien carrément délétères… sans parler de l’effet rebond, qui veut que lorsqu’on invente une technologie dite écologique, on finit toujours par consommer plus ailleurs, vous le découvrirez entre ces pages.

Ce que vous ne découvrirez pas, c’est une vision détachée de l’anthropocène. Rien n’est vraiment dit sur les écosystèmes, à part peut-être la disparition des baleines bleues, la perte de terres ressources, et l’intérêt à évaluer les théories de la bioéconomie, rien n’est dit sur ce que le mot décroissance signifie par rapport au reste de la nature, l’ « autre que nous ». L’auteur préfère s’extraire du récit de la nature pour paraître plus raisonnable et rationnel que les ayatollahs de l’écologie dont les gourous et les éco féministes qu’il finit par vilipender à la fin de son ouvrage sans plus d’explications outre mesure. Certaines parties du livre, bien que fascinantes, tombent parfois dans l’idéologie pure et bien qu’il faille une nouvelle idéologie, c’est plutôt d’un nouveau paradigme dont on aurait besoin. Ce paradigme, c’est celui des partisans de l’a-croissance. Lorsqu’il dit que nous ne retournerons pas au Moyen Âge et qu’il décrypte l’imaginaire politisé comme celui de Macron qui dit qu’il ne veut pas qu’on devienne des Amish, il réajuste le curseur, avançant que les Amish ont sûrement plus raison que nous en dehors de toute considération idéologique. Bref. Le livre est trouble. Toujours à la frontière de ce que Serge Latouche rejette en fin d’ouvrage : l’écofascisme. Il prend alors de nombreux exemples, en disant que des peuples « premiers » ont encore la bonne attitude en ayant une relation à la Terre qui nous est étrangère, alors qu’il rejette toutes les formes de croyances dites new âge et éco féministes (on ne sait pas bien ce qu’il met dans ce panier). Il prend aussi pour exemple le ralentissement de la démographie, mais prétend qu’il ne faudrait tout de même pas en arriver au point de l’enfant unique en Chine, si dévastateur. Il dit qu’il ne faudrait pas d’écologie punitive mais sort l’argument qu’il n’y a que des mesures coercitives qui ont eu des effets conséquentes sur la planète (l’interdiction des CFC et régulation après la vache folle). Il prétend qu’on pourrait ne travailler que 2h par jour (voire moins) pour atteindre le plein emploi (ce qui dans l’idéal est bien vrai), tout en prenant pour exemple le travail de chasseurs cueilleurs, ce qui reste peu représentatif de nos sociétés actuelles. Il dit qu’il faut régler la crise climatique en arrêtant la dépendance des Suds aux Nords (l’inverse même) afin d’endiguer l’immigration toujours plus folle, en prétendant qu’il ne faut tout de même pas oublier la diversité humaine. Lorsqu’il parle de diversité justement, il assume le fait que la plupart des théoriciens sont qu’il cite sont des « pères » ou « curés » blancs, ce qui pose un problème majeur de représentativité. Il dénonce les 1% des plus riches qui détiennent TOUT (plus de 85% des richesses), sans parler de répartition juste et obligatoire de ces mêmes richesses. Il dit qu’il faudrait une révolution culturelle, mais n’établît pas clairement la manière d’investir dans cette future révolution à venir : dans l’école ? La formation ? Les métiers ? La réglementation ? Les lois ? Tout cela reste dans les grandes lignes trop théoriques, tandis que les essais qu’il avait écrits sur l’obsolescence programmée paraissaient plus concrets. Lire ce livre m’a tout de même aidé à comprendre ce que j’avais peu formalisé (l’effet rebond, l’anéantissement de la planète par une agriculture destructrice, etc.).

Pour éviter cet aspect autoritaire de l’écologie, cette épure qui nous guette, il faudrait changer les esprits et donc l’imaginaire culturel de tout un chacun. Au lieu d’interdire, il faudrait investir dans les transformations des esprits. Pour ne pas retomber dans ce que les dictatures ont amené de pire, il serait nécessaire d’éduquer différemment. Mais rien n’est fait. Pourquoi ? Parce que la dictature est déjà là. Elle a pris un autre chemin que le totalitarisme. C’est la dictature du capitalisme et de l’argent. Plus silencieux plus lancinant. Le jour où la valeur de l’argent tombe, les barrières qui nous empêchent d’atteindre le respect de la Terre tomberont aussi. Il n’y a que quand la forêt brûle qu’on regarde où l’on met les pieds.

Signé Tassa

3 commentaires sur “J’ai lu Le Pari de la décroissance de Serge Latouche

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